Groupe F.T.P.F Chanzy
La Résistance dans la région Centre



Témoignage en faveur de

Monsieur Gérard LAGIER
Madame Marcelle Simonneau

Des parents de Gérard:
Monsieur Just LAGIER
Madame Juliette LAGIER



Je soussigné, Monsieur Léon JÉBRAK, né le 23 Avril 1928, à Paris 12 erne, demeurant actuellement 18 Rue de Montmorency à Paris 3ème, certifie les faits suivants :

En Août 1941, mon père Isaac, coiffeur, se rendant à son travail rue Notre Dame de Nazareth, à Paris 3ème, fut arrêté par la police française au square de la Grisette. Il fut transféré à Drancy, où il y resta, souffrant de la faim jusqu'en Novembre de la même année.

En Novembre 1941, les Allemands relâchèrent 800 à 900 des personnes arrêtées, croyant qu'une épidémie de typhus touchait le camp. Ma mère prit contact avec un passeur et mon père se retrouva en zone libre, du côté d'Eau-Chaude. Là, un secrétaire de mairie patriote, lui remis une carte d'identité ne portant pas le tampon « Juif ». Mon père partit pour Lyon. Pendant ce temps, ma sœur Françoise, plus âgée que moi d'environ quatre ans, était cachée à Neuvy sur Loire {Nièvre) grâce à une amie - non juive - Jacqueline BORY, connue durant son apprentissage à l'école de coiffure du Boulevard de Strasbourg à Paris. Cette amie connaissait un coiffeur qui recherchait une apprentie, et ma sœur a travaillé chez lui durant quelques mois.

Quant à moi, je suis resté avec ma mère Hélène JÉBRAK, rue Vaucouleurs, à Paris 11ème, jusqu'à la rafle du " Vel d'Hiv ". Je garde en mémoire les cris d'épouvante des personnes arrêtées par la police française. ce matin du 15 Juillet 1942. A cette époque, il y avait encore beaucoup de juifs dans le quartier de Belleville.

Nous sommes partis nous réfugier, à Villepinte, chez mon oncle Sam, prisonnier de guerre, et ma tante Louise.

Peu après, ma sœur travaillant donc comme apprentie au salon de coiffure de Neuvy sur Loire, voit une carriole tirée par un cheval. Une personne en descend, se dirige vers ma sœur et lui dit: « Fais ta valise tout de suite, on va t'emmener d'ici: On commence à jaser sur la présence d'une juive dans le pays! ".

C’était Monsieur Gérard Lagier accompagné d'un camarade.

Gérard Lagier avait 33 ans, marié à Marce11e et père de deux fillettes, Jacqueline et Colette. Cultivateur, il s'était trouvé pris dans la poche de Dunkerque en 1940. Gérard a réussi à s'échapper de la nasse allemande ne voulant pas végéter derrière des barbelés.

Il avait rejoint sa famille, et retrouvé sa ferme au hameau du Coudray (à deux kilomètres de Bonny sur Loire). Dans ce hameau, il n'y avait qu'une autre ferme habitée par les parents de Gérard. son père prénommé Just (!), et sa mère Juliette. De braves gens et des gens braves !

Gérard était membre du Parti Communiste Français, et faisait parti du réseau " Chanzy " (Gien-Orléans). Avec ses compagnons, il a réalisé de nombreux actes de résistance contre l'armée allemande et le Régime de Vichy: Attaque contre la maison de campagne de Marcel DÉAT dans la Nièvre, sabotages de voies ferrées (occasionnant des déraillements de convois allemands, notamment attentat contre le Pont-canal de Briare, etc...). La voie ferrée Paris-Vichy passait le long de la Loire, à proximité du Coudray.

Ma mère et moi avons, sur l'invitation des LAGIER, rejoint ma sœur au Coudray. C'est là que j'ai vécu environ dix mois heureux. Je m'occupais du cheval, des deux vaches, j'aidais Gérard dans les travaux des champs, tamisais la farine. Gérard pratiquait le bûcheronnage, et j'élaguais les branches. Nous posions des collets, je binais, sarclais, péchais, allais au puits chercher de l'eau. Un jour, j'ai découvert un fusil sous un tas de foin. Une autre fois, alors que nous étions à table, une boite de cartouches a explosé sous l'effet de la chaleur dans la boite à suie du poêle. Toujours souriant, Gérard faisait son devoir de patriote dans l'ombre et continuait son activité paysanne.

Ma mère et ma sœur aidaient à la ferme autant que faire se peut pour ne pas être une charge trop importante pour cette famille d'accueil. Cette période - De 1'automne 1942 au printemps 1943 - fut particulièrement dramatique pour les juifs n'ayant pas d'endroit où aller. Sans moyens, jamais nous n'aurions pu nous cacher sans 1'aide des LAGIER. Où trouver alors une main secourable, désintéressée et humaine ?

A l’automne 1942, ma mère et ma sœur avaient reçu des papiers sans mention de la religion juive grâce à mon père, de Lyon.

Le 2 Juin 1943, nous étions six autour de la table ronde: Gérard, sa femme Marcelle, ma mère Hélène, ma sœur Françoise, les deux fillettes LAGIER Jacqueline (4 ans) et Colette (6 ans), et moi. Par un temps splendide, nous finissions notre déjeuner dominical. La ferme étant de plein pied, les fenêtres donnaient sur les champs, et la porte s'ouvrait sur le hameau du Coudray. Brutalement la porte et les fenêtres furent enfoncées. Je n'ai jamais eu aussi peur de ma vie. J'avais 15 ans, mais devais en paraître moins. Gérard était assis, très calme. Un policier Français, revolver au poing s'est adressé à lui: "..T'es cuit! Fais pas le mariole !"

Les policiers français vêtus de leur gabardine mastic tels qu'on les imagine dans les films, étaient le commissaire principal Chanterelle, !e commissaire Viviani, et quatre inspecteurs. L’un d'eux a demandé à Gérard qui nous étions. I1 leur a répondu que nous étions des amis Parisiens venus se mettre au vert par ces temps de disette. Les policiers n'ont pas approfondi. Ils ont cru Gérard et )es papiers que nous avions reçus, et ne nous ont pas inquiétés. Durant la perquisition alors que nous étions encore à table, ma mère me poussait du coude, en me disant d'aller aux toilettes. Au bout d'un long moment, les policiers m'ont laissé sortir. J'ai couru jusqu'à la ferme des parents de Gérard à 50 mètres. Ils ont immédiatement compris la situation de leur fils. Les policiers Français ont tout fouillé. Ils n'ont rien trouvé. Ils cherchaient des membres du réseau " Chanzy ". Le réseau avait été donné par un certain Meresse.

Ainsi, je- dois le dire. en plus de son activité patriotique, Gérard LAGIER et son épouse Marcelle nous ont sauvés.

Lorsque je suis revenu à la ferme, les policiers avaient emmené Gérard. Nous avons appris par la suite que la police française l'avait remis aux Allemands.

Gérard et seize de ses compagnons ont eu un simulacre de jugement. Ils ont été exécutés à l'aube du 8 Octobre 1943, fusillés au stand de tir du terrain militaire des Groues. Dans un premier temps, la dépouille de Gérard a été inhumée au cimetière de la commune d'Ormes, et depuis la libération il repose au cimetière de Bonny sur Loire avec d'autres compagnons.

Par la suite, ne pouvant plus rester au Coudray, ma mère Hélène et ma sœur Françoise ont réussi a rejoindre mon père à Lyon. Les Allemands avaient pénétré en zone libre.

En ce qui me concerne. je suis resté encore deux mois au Coudray, à côté de Bonny sur Loire, à 175 kilomètres au sud de Paris. Ensuite, j'ai pris le train pour Lyon en passant près de Vichy. Les trains étaient le seul moyen de locomotion à l'époque: Ils étaient bondés, quand ils roulaient. Je suis monté sans papier, à Cosnes sur Loire, je crois. En gare de Vierzon, les hauts-parleurs ont annoncé: " Messieurs les voyageurs sont priés de préparer leurs papiers pour que les autorités compétentes puissent les vérifier." Debout près de ma place, j'étais désespéré, sans document officiel à présenter. Une femme que je ne connaissais pas, assise à ma droite m'a vu paniquer. Elle m'a pris par le bras, m'a fait rasseoir, et m'a dit: " Je dirai que tu es mon fils. " Je ne l'ai jamais revue.

J'ai longtemps correspondu, et parfois rendu visite après la guerre aux deux sœurs de Gérard, Suzanne et Georgette, toutes deux décédées depuis. J'ai encore revu leur fille, Jacqueline LAGIER cet été. Elle est mariée, grand-mère, et continue à vivre à Bonny sur Loire. Quand nous allons dans la région, nous nous rendons au cimetière pour nous incliner sur la tombe de Gérard. Marcelle, sa femme est décédée peu de temps après la libération.

C'est pour rendre hommage au courage de ces personnes. et pour que cela reste en mémoire que je demande que Marcelle et Gérard LAGIER, ainsi que leurs parents, Juliette et Just soient reconnus " Justes parmi les Nations ", et inscrits comme tels au Mémorial de Yad Vachem, à Jérusalem. Ce ne sera que justice.

Fait à Paris le 24 Novembre 1994.

Monsieur Léon JÉBRAK



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